Souvent le samedi matin, je fais une promenade en écoutant un ou deux épisodes de podcast, les AirPods vissés dans les oreilles. L’autre jour, Check In m’a ainsi permis de découvrir le roman « Providence Canyon » de Corinne Cotereau. Pour rappel, ce même podcast m’avait déjà fait découvrir un autre livre captivant, « DreamLand » de Martine Couralet-Laing.
Dans l’épisode consacré à « Providence Canyon », l’interview avec Corinne Cotereau m’a convaincu de me plonger dans ce livre. Non seulement l’histoire m’a immédiatement attiré, mais les mots de l’auteure et sa sensibilité vis-à-vis des événements relatés et des personnages qu’elle a imaginés m’ont également touché.
C’est donc tout naturellement qu’après avoir écouté cette discussion passionnante, j’ai décidé de me lancer dans la lecture de ce roman. C’est désormais chose faite, et je suis ravi de partager mes impressions sur cette œuvre fascinante. De plus, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Corinne Cotereau au sujet de son livre. Son interview est disponible à la fin de cet article.
À la découverte de Providence Canyon
Dès les premières pages, « Providence Canyon » nous plonge dans l’univers aride et mystérieux du désert californien. Les descriptions minutieuses des paysages nous transportent au cœur de cette région désertique. Ils rappelent le charme et l’histoire de lieux emblématiques tels que le Bagdad Café sur la Route 66. Le talent de l’auteure pour évoquer les nuances de couleur, la chaleur écrasante et l’immensité des canyons nous permet de ressentir l’atmosphère unique de cette partie du monde. On se sent happé par cette nature sauvage et inhospitalière, à la fois belle et impitoyable. Celle-ci devient d’ailleurs un personnage à part entière dans cette aventure captivante.
Des âmes françaises en Californie
Les personnages de J.B. et Stéphanie apportent une perspective fascinante à l’histoire. J.B., un quinquagénaire français rongé par le chagrin, vit reclus dans ce désert américain. Là-bas, il observe avec méfiance l’arrivée de Carter, l’entrepreneur ambitieux. Stéphanie, quant à elle, est une étudiante française dont les expériences et les pensées sont révélées à travers son journal intime, découvert par J.B.. Leur regard d’étranger sur cette terre américaine ajoute une profondeur et une authenticité à l’intrigue. Leur lutte pour trouver leur place dans ce milieu hostile et leurs interactions avec les habitants locaux soulignent les défis de l’intégration et les différences culturelles.
Et d’autres personnages intéressants
Parmi les autres personnages, Paul Carter se démarque par sa complexité. Bien qu’il soit souvent décrit comme un homme dur et déterminé, il n’en reste pas moins profondément humain. Ses défauts et ses luttes personnelles le rendent attachant malgré ses actions discutables. La dynamique entre Carter et J.B. crée une tension palpable tout au long du récit. Des personnages secondaires, comme Annie, la propriétaire du camping, enrichissent le récit par leur diversité et leurs histoires personnelles. Chaque personnage, avec ses forces et ses faiblesses, contribue à créer un tableau riche et vibrant de village désertique.
Un véritable page-turner
Avec son intrigue bien ficelée et ses rebondissements inattendus, « Providence Canyon » est un véritable page-turner. Il nous maintient en haleine du début à la fin. La double narration entre le journal de Stéphanie et le récit principal ajoute d’ailleurs une profondeur supplémentaire à l’histoire. Le lecteur découvre ainsi progressivement les liens entre les personnages et les événements. Corinne Cotereau parvient à nous immerger complètement dans le désert américain des années 90 et 2020. Elle nous fait ressentir la chaleur, la poussière et les tensions qui animent ce coin reculé de la Californie. Un premier roman parfaitement maîtrisé qui donne envie de découvrir les prochains ouvrages de cette auteure prometteuse.
Interview de l’auteure, Corinne Cotereau
La création d’un cadre authentique
Votre roman « Providence Canyon » nous immerge profondément dans le désert californien. Personnellement, j’ai eu l’impression de me retrouver au « Roy’s Motel and Cafe », découvert grâce au LA Times. Comment avez-vous procédé pour créer un cadre aussi authentique et vivant ? Avez-vous visité ces lieux ou effectué des recherches spécifiques ?
Corinne Cotereau : Je vis à San Diego en Californie depuis quatre ans. C’est donc un cadre de vie que je connais bien. Comme je suis une amoureuse des grands espaces, je ne perds pas une occasion d’aller explorer ces décors extraordinaires pour nous, Européens. Le désert d’Anza Borrego se situe à deux heures de San Diego et c’est l’endroit parfait pour aller camper l’hiver. J’ai écrit « Providence Canyon » avec l’envie de partager cette chance que j’ai de vivre ici.
Si le cadre de mon roman paraît si authentique et vivant, c’est parce qu’il existe vraiment. Je me suis inspirée de lieux comme le Roy’s Motel and Café ou encore le Bagdad Café, qui se situent pas très loin l’un de l’autre d’ailleurs, ensuite je me suis amusée à imaginer l’intérieur. Le bar modèle Cosmos 99 n’existe pas, mais j’ai grandi avec cette série et il faut croire qu’elle est restée dans un coin de ma tête. J’ai marché sur les rails aussi, j’ai traversé quelques ponts. C’est finalement la partie qui m’a demandé le plus de recherches, car je ne connaissais rien sur l’Impossible Railway qui, elle aussi, existe vraiment.
L’inspiration derrière les personnages
Les personnages de J.B. et Stéphanie Bertillot sont très nuancés et complexes. Pouvez-vous nous parler de l’inspiration derrière ces personnages ? Comment avez-vous développé leurs histoires et leurs personnalités ?
Corinne Cotereau : C’est toujours plus facile d’écrire sur ce que l’on connaît. Pour J.B., je me suis inspirée de plusieurs personnes. L’une, Slomo, patine d’une manière très particulière et est assez connue à San Diego. Concernant la personnalité de J.B., si au début du roman, j’y voyais l’un de mes frères, elle s’est affinée avec l’écriture.
Écrire c’est presque comme de la sculpture. On ajoute à ses personnages de la chair, des expériences et cela finit par leur donner vie. Mon autre héroïne française, Stéphanie, est presque mon double. Comme elle, j’ai passé un été dans l’Ouest à travailler dans un ranch quand j’avais 23 ans et comme elle, je suis issue d’un milieu populaire. Mes deux héros français cherchent leur place dans le monde. Ils quittent la France pour ne pas répéter les schémas familiaux, les injonctions sociales, mais ils transportent avec eux un sac à dos de blessures et même de traumas en ce qui concerne J.B. Je me suis appuyée sur des expériences vécues, ressenties. Cette envie de foutre le camp, de partir à l’étranger comme si on se libérait de ses chaînes, je l’ai ressentie.
Le développement de l’intrigue
L’intrigue de « Providence Canyon » est riche en rebondissements et maintient le lecteur en haleine. Comment vous est venue l’idée principale de cette histoire ? Avez-vous planifié l’intrigue en détail dès le début ou a-t-elle évolué au fil de l’écriture ?
Corinne Cotereau : Je suis obligée d’abord de vous parler de la genèse de mon roman, car c’est en tombant sur un lieu hors du commun que le besoin d’écrire s’est fait sentir. En février 2020, je déménage à San Diego en Californie en tant que peintre. Avec l’arrivée du COVID, les opportunités professionnelles se transforment en chimères. Les galeries d’art se ferment, tout comme le reste du monde. Et je me retrouve face à un vide existentiel, à tout remettre en question. Coincée à 10 000 km de mes deux enfants de 18 et 20 ans.
En cherchant sur Google Maps un endroit pour camper dans le désert, je tombe sur la photo du pont de chemin de fer le plus long du monde. Tout de suite, mon imagination s’enflamme. Je pose cette première supposition : et si le chemin de fer était réhabilité. Une deuxième me vient à l’esprit : et si quelque chose était retrouvé à l’intérieur d’un tunnel ? C’est avec des « Et si ? » que l’on construit une histoire. J’avais un début et une fin (qui a évolué à force de m’identifier à un personnage). J’ai suivi une trame, mais je me suis laissée la liberté de suivre mes intuitions au fil de l’écriture. C’est en cela que l’écriture est une aventure, je suis actrice de cette histoire, il m’est donc arrivé de changer de direction en cours de route, tout en ayant en tête où je voulais arriver.
La difficulté est de rester cohérent avec le personnage. J’ai donc souvent repris la trame pour m’assurer que cela tenait la route. Si on va trop loin, il suffit de faire marche arrière et de retrouver la bonne piste.
La double narration : Un choix narratif et ses défis
Le roman présente une double narration entre le journal de Stéphanie et le récit principal. Pourquoi avez-vous choisi cette structure narrative et quels défis avez-vous rencontrés en l’écrivant ?
Corinne Cotereau : La double narration m’a paru indispensable. Il fallait que le lecteur, lui aussi, fasse la rencontre de Stéphanie. Le témoignage de cette dernière sur son inexpérience de la vie, sur le monde du travail, sur ses complexes et ses interrogations en fait un personnage attachant. En lisant le carnet de Stéphanie, J-B va s’identifier et son passé va recommencer à le torturer. Il va ressentir de l’affection pour Stéphanie. Une complète étrangère pourtant. Mais avec laquelle il partage la même nationalité, les mêmes références culturelles, la même langue. Langue maternelle qu’il est le seul à pouvoir déchiffrer et donc comprendre.
Ça a été une sacrée aventure personnelle. En m’endormant le soir sur un problème dans mon intrigue, j’avais la solution au réveil en général grâce à mon imagination.
Le style est apparu naturellement, sans que j’aie à me forcer. Par contre, il était indispensable de trouver une voix singulière pour les lettres de Stéphanie. Je me suis arrangée pour que ce personnage soit beaucoup dans l’introspection. Le chemin a tout de même été laborieux. Quand l’orgueil me poussait, parce que j’étais convaincue de tenir une histoire originale, l’humilité me freinait. Je revenais en arrière sur des scènes que je trouvais trop mièvres ou mal écrites.
Le ventre mou, le milieu du livre, a été assez difficile à écrire. J’étais impatiente d’écrire le mot fin. L’écriture s’est déroulée sur 18 mois avec un premier jet interrompu par une mégatendinite au bras droit. Une fois le premier jet finalisé, j’ai à nouveau délaissé mon texte pendant un bon 6 mois. Pour le réécrire plusieurs fois sur les deux derniers mois.
Les messages et réflexions de « Providence Canyon«
Votre livre explore des thèmes variés, des enjeux sociaux à la recherche de soi dans un environnement étranger. Quels messages ou réflexions espérez-vous que les lecteurs retirent de « Providence Canyon » ?
Corinne Cotereau : S’expatrier c’est se déraciner et c’est loin d’être sans conséquence. C’est emporter avec soi ses questionnements existentiels, ses fragilités et faire avec dans l’éloignement. J’avais envie de parler des perdants à travers mon héros, J-B. Ceux pour qui la route n’est pas facile et qui doivent faire preuve de beaucoup de résilience pour continuer à avancer. Dans l’imaginaire collectif, l’expatrié est un gagnant. Un des messages serait le suivant. On trouve des chercheurs d’or chez les expatriés, mais aussi des chercheurs d’air, comme J-B.
La recherche de soi dans un environnement étranger est en effet au cœur de mon roman. Stéphanie fait un constat à la fin de son expérience et ce constat est universel : nous détenons tous les clés de notre cage. Rien n’interdit de rêver, de se donner les moyens de changer pour « exister plus intensément ». C’est d’ailleurs une citation de Romain Rolland évoquée par Monsieur Marcel : Quand on ose, on se trompe souvent. Quand on n’ose pas, on se trompe toujours ». J’ajouterais un autre message : c’est en rencontrant l’autre que l’on se rencontre soi. Le personnage de J-B évolue à partir du moment où il se force à aller vers cet autre. Il en est de même pour Stéphanie. Alors faut-il s’expatrier pour oser finalement ? Je dirais pas forcément, mais c’est toujours enrichissant de prendre du recul.
Conclusion
La lecture de Providence Canyon est une expérience immersive et enrichissante. Son cadre authentique, ses personnages nuancés et son intrigue captivante promettent de vous transporter dans un univers fascinant, où chaque page révèle de nouveaux mystères et émotions. Si cette revue vous a donné envie d’explorer les vastes déserts californiens et de rencontrer J.B. et Stéphanie, je vous invite à vous faire votre propre opinion en vous procurant ce livre. Plongez dans cette aventure littéraire et laissez-vous séduire par la plume de Corinne Cotereau.
Je tiens également à remercier chaleureusement Corinne Cotereau pour sa disponibilité et sa gentillesse lors de notre entretien. Ses réponses réfléchies et sa passion pour son œuvre ont grandement enrichi cette découverte. Vous ne serez pas déçu par ce roman qui mêle avec brio réflexion personnelle et aventure palpitante !